J’ai vescu sans nul pensement,
Me laissant aller doucement
A la bonne loy naturelle,
Et si m’estonne fort pourquoi
La mort osa songer à moi
Qui ne songeay jamais à elle.
Tout l'escalier branlait du haut jusques en bas.
ÉPITAPHE DE REGNIER
FAITE PAR LUI-MÊME
J'ai vécu sans nul pensement,
Me laissant aller doucement
À la bonne loi naturelle;
Et je m'étonne fort pourquoi
La mort osa songer à moi,
Qui ne songeai jamais à elle.
p.312
SATIRE XI
Voyez que c'est du monde et des choses humaines.
Toujours à nouveaux maux apparaissent nouvelles peines;
Et ne m'ont les destins, à mon dam trop constants,
Jamais après la pluie envoyé le beau temps.
Étant né pour souffrir,ce qui me réconforte,
C'est que sans murmurer la douleur je supporte,
Et tire ce bonheur du malheur où je suis,
Que je fais en riant bon visage aux ennuis,
Que le ciel affrontant,je nasarde la lune,
Et vois sans me troubler l'une et l'autre fortune.
SATIRE III (extrait)
Qui pêche avec le ciel pèche honorablement.
Car penser s'affranchir, c'est une rêverie.
La liberté par songe en la terre est chérie.
Rien n'est libre en ce monde ;et chaque homme dépend,
Comtes,princes,sultans,de quelques autres plus grand.
Tous les hommes vivants sont ici bas esclaves;
Mais suivant ce qu'ils sont, ils diffèrent d'entraves;
Les uns les portent d'or et les autres de fer:
Mais n'en déplaisent aux vieux,ni leur philosopher,
Ni tant de beaux écrits qu'on lit en leurs écoles,
Pour s'affranchir l'esprit ne sont que des paroles.
Au joug nous sommes nés et n'a jamais été
Homme qu'on ait vu vivre en pleine liberté.
SATYRE II (extrait)
Sachant bien que fortune est ainsi qu'une louve,
Qui sans choix s'abandonne au plus laid qu'elle trouve,
Qui relève un pédant de nouveau baptisé,
Qui le vice ennoblit,et qui, tout au contraire,
Ravalant la vertu,la confine en misère.
Et puis, je m'irais plaindre après ces gens ici ?
Non, l'exemple du temps n'augmente mon souci.
Et bien qu'elle ne m'ait sa faveur départie,
Je n'entends, quand à moi,de la prendre à partie,
Puisque selon mon goût,son infidélité
Ne donne et n'ose rien à la félicité.
ÉPIGRAMMES.
FLUXION D'AMOUR.
L'amour est une affection
Qui, par les yeux dans le cœur entre,
Et, par forme de fluxion,
S'escoule par le bas du ventre.
p.335
Stances
Quand sur moi je jette les yeux…
Extrait 8
La mémoire du temps passé,
Que j'ai follement dépensé,
Épand du fiel en mes ulcères ;
Si peu que j'ai de jugement,
Semble animer mon sentiment,
Me rendant plus vif aux misères.
…
Il n'est point d'autre honneur que de foutre très-bien
Car sans ce doux plaisir la vertu ne vaut rien.
Honneur, foutre et vertu, c'est une mesme chose.
Stances
Quand sur moi je jette les yeux…
Extrait 3
Leur âge, à l'instant écoulé,
Comme un trait qui s'est envolé,
Ne laisse après soi nulle marque ;
Et leur nom, si fameux ici,
Sitôt qu'ils sont morts, meurt aussi,
Du pauvre autant que du monarque.