Les Salons du XVIIème siècle



Une Ruelle

Une Ruelle - Gravure d'A. Bosse



L'Hôtel de Rambouillet


Comme son nom l'indique, cet hôtel aux pièces en enfilades, fut construit à la demande de la marquise de Rambouillet vers 1604, rue St Thomas du Louvre.
La marquise de Rambouillet, de son nom de jeune fille, Catherine de Vivonne, épousa en 1600 le marquis de Rambouillet. Ils eurent sept enfants.

Cette italienne raffinée fut d'une santé fragile. Les transports à la cour la fatiguant, elle réussit à attirer chez elle une société choisie, retrouvant ainsi la vie brillante qu'elle connut en Italie. Elle fut rejointe par ses deux filles, Julie d'Angennes et Angélique, pour recevoir ses hôtes dans sa " Chambre Bleue ".

" L'incomparable Arthenice " (anagramme de son prénom Catherine lancé par Malherbe), belle, vertueuse sans être prude, cultivée sans être pédante sut « faire de son salon le centre du bon goût et de la bienséance ».



L'Hôtel de Rambouillet connut trois périodes.


De 1620 à 1625, parmi ses hôtes de marque se trouvèrent Richelieu, évêque de Luçon à cette période, Villars, Guiche, la princesse de Conti, Mesdames de Sablé et de Clermont et Mademoiselle Paulet. Au sein de ses hôtes se joignirent des écrivains, Malherbe, des Yvetaux, Gombault, le Cavalier Marin, Racan, Vaugelas, Conrart, Segrais et Chapelain.

De 1625 à 1648, les grands seigneurs s'y succédèrent, le duc d'Enghien, futur grand Condé et sa soeur Mademoiselle de Bourbon, le duc de la Rochefoucauld, le duc de Montausier qui épousera la fille de la Marquise de Rambouillet, Julie d'Angennes. De nouveaux écrivains firent leurs arrivés, Voiture, Georges et Madeleine Scudéry, Sarasin, Mairet, Godeau, futur évêque de Grasse, Ménage, Cotin, Benserade, Scarron, Malleville, et de temps à autre Pierre Corneille vint y lire une nouvelle pièce.

Hélas, l'Hôtel de Rambouillet commença à décliner suite à des évènements successifs, le mariage de Julie en 1645, les décès de Voiture en 1648 et celui de Pisani, le fils de la marquise de Rambouillet et les grands troubles de la Fronde.

De 1648 à 1665, date à laquelle décéda Madame de Rambouillet, le salon, malgré les fréquentations renommées de Mesdames de Sévigné et de La Fayette, fut éclipsé par d'autres cercles plus animés.




La vie à l'Hôtel de Rambouillet


La vie du salon fut enjouée, parsemée de plaisanteries et de jeux de société. Des exemples de taquineries qui s'y déroulèrent furent décrits.

Un matin, certaines personnes firent croire à Guiche qu'il était empoisonné par des champignons et qu'il était enflé. Celui-ci effectivement n'entrait plus dans ses habits, qui avaient été volontairement rétrécis pendant son sommeil !

Voiture introduisit un jour des ours dans le salon, au grand effroi de la marquise et de ses hôtes. Toujours Voiture, fut condamné par un pseudo " tribunal " a être berné (lancé en l'air sur une couverture) pour n'avoir pas su distraire la petite Mademoiselle de Bourbon qui était malade. Voiture fut celui qui innovait les divertissements et le plus souvent, l'initiateur des jeux de société. Il fut considéré comme " l'âme du rond ".

Les jeux de société n'étaient pas de tout repos non plus et étaient loin de nos jeux de société actuels. Les jeux qui y furent joués sont, le coeur volé (comme son nom l'indique, cherchez la voleuse de coeur), la chasse à l'amour (trouver qui se cache dans les yeux d'une dame), du corbillon (" J'aime tel ou telle pour telles qualités ou tels défauts "), de la lettre (toutes les réponses doivent commencer par la lettre convenue...)

Le salon ne fut pas uniquement littéraire mais aussi musical. Mademoiselle Paulet y chanta et des bals masqués y furent donnés. Il arrivait que le salon se déplaça en campagne, au château de Rambouillet pour y donner un cadeau (une collation champêtre). Comme au temps de Catherine de Médicis, les jeunes filles se déguisèrent en nymphes et le salon dansa au son des violons cachés dans les massifs.

Le salon vécut également au rythme des divertissements littéraires. Les familiers du salon lisèrent beaucoup et en souvenir de l'Astrée d'Honoré d'Urfé, adoptèrent des noms romanesques. Madame de Rambouillet devint Arthénice comme cité précédemment, sa fille Julie fut Mélanide, et son futur gendre Montausier fut Ménalidus. Voiture fut surnommé Valère et le petit abbé Godeau fut " le nain de Julie ".

Bien sûr, les coutumiers participèrent aux controverses littéraires, à la guerre des Matineuses. Thème précieux qui inspira Du Bellay, et Voiture, qui vers 1645, récita son poème " La Belle Matineuse " à l'Hôtel Rambouillet. Mais aussitôt, Claude de Malleville, auteur de trois sonnets de même inspiration, les opposa à celui de Voiture. Cette querelle captiva l'Hôtel de Rambouillet un certain temps, où semble-t-il les sonnets de Malleville furent préférés.

Une autre querelle s'y déroula également et encore autour de Voiture, " la querelle des sonnets ". Cette affaire eut lieu après la mort de Voiture, entre 1648 et 1650. Le salon opposa le " Sonnet d'Uranie " de Voiture au " Job " de Benserade (1613-1691) qui ambitionnait la succession de Voiture. Deux parties se formèrent, les Uranistes, dirigés par Madame de Longueville et les Jobelins présidés par le prince de Conti, son frère. Les antagonistes les plus connus furent Sarasin, Georges et Madeleine Scudéry, Chapelain, Desmarets de Saint Sortin et Balzac. Ce dernier consacra une dissertation de vingt pages sur ce sujet. Pierre Corneille échappa à cette querelle en répondant en " Normand ".

En 1637, l'Hôtel Rambouillet s'impliqua à une controverse grammaticale sur le mot " car ". Cette conjonction déplut à Malherbe et Gomberville se flatta de l'avoir évitée dans ses cinq volumes de son Polexandre. L'Académie, saisie du problème, l'étudia avec une ardeur dont se moqua Saint-Évremond (Comédie des Académistes). Elle présagea de supprimer " car " et de le remplacer par " pour ce que ". La bataille se déroula en coup de pamphlets. Mademoiselle de Rambouillet fit appel à Voiture pour sauver le " car " et celui-ci répondit par un magnifique plaidoyer.

Les " divertissements " littéraires furent nombreux, en dehors des querelles, se déroulèrent également des lectures comme celle de Polyeucte de Pierre Corneille et un sermon improvisé du jeune Bossuet. La Sophonisbe de Mairet (1636) y fut jouée et son mélange de religion et d'amour profane y fut désapprouvé.

Les hôtes de Madame de Rambouillet ne firent pas uniquement que juger ou écouter mais se mirent eux-mêmes à contribution pour l'écriture de lettres, utilisant tous les styles. Beaucoup d'entre eux contribuèrent à la Guirlande de Julie (1641) de Montausier, recueil collectif où certaines fleurs furent utilisées pour faire l'éloge des qualités de Julie d'Angennes. La Guirlande de Julie, calligraphiée sur vélin et ornée de fleurs symboliques, est une galanterie poétique de Montausier offerte à Julie d'Angennes, qui devint sa femme.

L'occupation première, le but originel du salon fut la conversation raffinée. Le principal sujet de ses conversations fut l'amour. Des débats psychologiques y furent consacrés, tels que " La beauté est-elle nécessaire pour faire naître l'amour ? ", " Le mariage est-il compatible avec l'amour ? ". Des argumentations furent philosophées sur les influences de l'amour, " Quel est l'effet de l'absence en amour ? ", " Si la présence de ce qu'on aime cause plus de joie que les marques de son indifférence ne donnent de peine ", " L'embarras où se trouve une personne quand son coeur tient un parti et la raison un autre "...




Les autres salons


Avec le succès du Salon de Madame de Rambouillet, nombreuses furent celles qui organisèrent leur propre salon. Ceux-ci virent le jour et leur notoriété se développa après la Fronde, vers 1650. C'est également à cette période que jaillit véritablement la préciosité.

L'abbé de Pure dit en 1656 à propos de cet engouement, " Il est impossible de savoir comment le début s'en est fait et comment la chose s'est rendue si commune. Il n'est plus une femme qui n'affecte d'avoir (dans son salon) une précieuse... Quand on entre dans une ruelle, comme les duchesses ont leur rang dans le cercle, ainsi la précieuse a le sien. ". Non péjoratif, les femmes à qui cela s'adressait revendiquaient même le titre pour se différencier du vulgaire. René Bray décrivit le " salon du demi-siècle " comme ceci : " Suivons nos précieux dans une ruelle du Marais. Dès l'entrée, nous remarquons le marteau emmailloté pour que le bruit du heurtoir ne trouble pas, dit-on, la conversation. Les dames reçoivent dans leur chambre, au premier étage de leur hôtel : sur une estrade trône le lit isolé par un balustre ; la maîtresse des lieux se tient couchée ou assise au pied du lit ; une ruelle est occupée par les domestiques, l'autre par les amies siégeant selon leur importance sur des fauteuils, des chaises, des tabourets ou des carreaux. La chambre est tenue parfois dans une demi-obscurité favorable à la beauté des dames et à la concentration de l'esprit. Tableaux et miroirs garnissent les murs. "

Les salons les plus connus furent les cercles aristocratiques de Madame de Sablé et de Mademoiselle de Montpensier, les salons de Madame de Sully, de Choisy, de la Suze, et ceux plus bourgeois de Madame de Scarron (épouse de l'écrivain et future Madame de Maintenon), et de Mademoiselle Robineau. Aucun n'eut la grande renommée de l'Hôtel de Rambouillet sauf le salon de Mademoiselle de Scudéry qui se flattait de lui succéder.




Le salon de Madame de Scudéry


Madeleine de Scudéry fut une ancienne habituée de la Chambre bleue. D'une quarantaine d'années, elle fut considérée comme une vieille fille romanesque. Vers 1652, elle rassembla tous les samedis, dans son salon du Marais, des bourgeoises amoureuses de romans et de gens de lettres. Parmi les écrivains tels que Pellisson et d'Aubignac, d'autres qui furent auparavant à l'Hôtel de Rambouillet se retrouvèrent dans son salon, Conrart, Ménage, Godeau, Chapelain, le poète Sarasin, qui fut jusqu'à sa mort (1654) l'animateur de ce grand cercle.

Le salon de Mademoiselle de Scudéry fut moins aristocratique, moins mondain que celui de Madame de Rambouillet. Madeleine de Scudéry valorisa surtout les activités littéraires. Les habitués du salon reproduiront certains divertissements littéraires du salon de l'Hôtel de Rambouillet comme celui des pseudonymes tirés d'une oeuvre admirée par les hôtes. Cette oeuvre fut " Cyrus " de Mademoiselle de Scudéry. Madeleine de Scudéry devint donc Sapho, Pellisson fut Agante et Godeau devint le Mage de Sidon. Mademoiselle de Scudéry publia tous les ans un ou plusieurs tomes de ses romans-fleuves : " Le Grand Cyrus " (10 volumes, 1649-1653), puis " Clélie " (10 volumes, 1654-1661).

Parmi les divertissements, des chansons qui venaient juste d'être écrites y furent chantées. Des tournois poétiques s'y déroulèrent, ce qui donna par exemple, vingt-cinq madrigaux écrits sur le même thème en une seule soirée. Des querelles s'y produisirent également comme celle entre Mademoiselle de Scudéry et l'abbé d'Aubignac, qui lui contestait l'invention de la Carte de Tendre. Des petits échos littéraires s'y propagèrent et s'organisèrent les ripostes contre la cabale de Cotin contre le Clélie de Madeleine de Scudéry.

Le salon de Mademoiselle de Scudéry eut la bonne réputation de déterminer le ton de la préciosité littéraire et morale pendant de longues années.

Texte écrit par Karine Merdrignac.
Mis en ligne le 07/11/2002

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