Paul Verlaine

Paul Verlaine
Paul Verlaine

Poète français (Metz 1844-Paris 1896).

Partagé entre sensualité et mysticisme, Paul Verlaine connaît une vie difficile et parfois violente, qui s’achève prématurément dans l’alcool. Mais l’inventeur des « Poètes maudits » sait aussi chanter les amours rêveuses et la naïveté de l’enfance. Il donne à lire une poésie tantôt nostalgique et crépusculaire, tantôt vive et libre, animée par le ton parlé et par l'imprévu des rythmes impairs, qui contribua largement à libérer le vers. Par l’importance accordée à la musique et aux images, son œuvre porte une réforme de la poésie française. Son talent, son originalité fascineront, et les écoles d'avant-garde se réclameront de lui.

Famille

Père originaire du Luxembourg, capitaine du Génie ; mère originaire du Pas-de-Calais. La famille, qui s’installe à Paris en 1851 après la démission du père, a recueilli en 1836 une cousine orpheline de Paul – qui est fils unique.

Poète et fonctionnaire (1844-1871)

Bachelier en 1862, Paul Verlaine entre à l’administration de l’Hôtel de ville de Paris, où il occupe un poste subalterne d’expéditionnaire. Il fréquente les milieux littéraires et contribue à la revue poétique le Parnasse contemporain (Poèmes saturniens, 1866). La mort de son père (1865) et celle de sa cousine (1867) l’affectent durement. Son penchant pour l’alcool, signalé dès 1863, s’accentue. En 1869, il s’éprend d’une jeune fille – Mathilde Mauté – et caresse l’espoir d’un mariage et de jours meilleurs (Fêtes galantes, 1869 ; la Bonne Chanson, 1870). Mais son équilibre reste menacé. Il est secoué par des crises d’anxiété au cours desquelles il brutalise sa mère, avant de perdre son emploi à la suite de sa participation à la Commune de Paris (1871).

Entre le vice et la vertu (1871-1882)

Marié en 1870, Verlaine se détourne de Mathilde lorsqu’il rencontre Arthur Rimbaud. Les deux hommes quittent la France pour l’Angleterre puis la Belgique, où ils mènent une vie scandaleuse et misérable. Après avoir tiré avec un revolver sur son ami (10 juillet 1873), Verlaine est condamné à une peine de deux ans de prison, qu’il purge à Bruxelles puis à Mons. L’influence de Rimbaud est vive (Romances sans paroles, 1874) même si Verlaine, qui souhaite renouer avec sa femme dont il est séparé (1874), traverse une crise religieuse qui aboutit à sa conversion (Sagesse, 1881). À sa sortie de prison (1875), il devient professeur en Angleterre puis à Rethel (Ardennes), où il se lie avec un de ses élèves, Lucien Létinois.

Le poète maudit (1882-1896)

La fin de la vie de Verlaine est marquée par une ruine physique et sociale, l’échec du projet d’exploitation d’une ferme qu’il achète avec l’argent de sa mère et la mort de Lucien (1883). Cette déchéance s’accomplit en dépit d’une notoriété grandissante. Verlaine publie plusieurs recueils de vers (Jadis et naguère, 1884 ; Parallèlement, 1884) mais aussi un ouvrage d’hommage et de critique, les Poètes maudits (1884 ; augmenté en 1888), dans lequel il revient sur l’évolution poétique des Parnassiens jusqu’à Rimbaud et Mallarmé. Célébré par ses pairs qui le proclament « prince des poètes », il est usé et vieilli, rendu à l’état de clochard, et s’éteint d’une congestion pulmonaire.

1. La vie de Verlaine

1.1. Le rôle salvateur de la poésie

Fils d'un officier du génie, Paul Verlaine, dont la famille se fixe en 1851 à Paris, fait de solides études classiques. À 20 ans, il est nommé expéditionnaire à l'Hôtel de Ville de Paris, mais la carrière administrative ne l'intéresse guère. Très vite, il parvient à se faire admettre dans les salons littéraires de Louis-Xavier de Ricard (1843-1911) et de Nina de Villard (1843-1884), où il rencontre notamment Banville, Heredia, Coppée et Villiers de L'Isle-Adam. Collaborateur au Hanneton, à l'Art et, accessoirement, au Parnasse contemporain, il étend peu à peu ses relations dans le monde littéraire.

Républicain convaincu, athée et ouvertement hostile à l'Empire, déjà possédé, comme Baudelaire, par l'alcool, Verlaine cherche à vaincre ses démons à travers la poésie. La mort de son père en 1865, puis celle de sa cousine tendrement aimée, Élisa Moncomble (1836-1867), ne font que plonger davantage dans le désarroi le jeune homme aux nerfs fragiles, qui vit seul avec sa mère (non sans dégâts, car il la brutalise et tentera même de l'étrangler en 1885). En 1866, ses Poèmes saturniens, de facture parnassienne, révèlent un poète authentique mais encore réduit aux tâtonnements. Ses fiançailles avec Mathilde Mauté de Fleurville (1853-1914), en 1869, et son mariage, le 11 août 1870, donnent au poète l'illusion d'échapper à ses tourments intérieurs : il publie alors les Fêtes galantes (1869) et la Bonne Chanson (1870), qui confirment avec éclat l'écrivain véritable.

1.2. Entre démesure et sagesse

Contrairement à ce qu'il dira quelques années plus tard, Verlaine n'est pas fait pour la « vie humble aux travaux ennuyeux et faciles ». Il lui faut, pour s'épanouir, non pas le calme du foyer, mais la vie passionnée, non pas une femme, mais un homme : ce sera Rimbaud qui, en venant s'installer, en septembre 1871, chez le jeune ménage, le brisera (Mathilde, qui accouche d'un garçon le 30 octobre, entreprend une procédure de séparation au début de l'année suivante).

En juillet 1872, Verlaine et Rimbaud s'enfuient en Belgique, puis à Londres. Pérégrinations, brouilles, réconciliations, amours maudites de poètes maudits, exaltations et retombées s'achèvent, de retour en Belgique, par le drame de Bruxelles : le 10 juillet 1873, Verlaine tire sur Rimbaud et le blesse.

Incarcéré, Verlaine se convertit au catholicisme. Il médite, autant sur son art que sur son âme, et entend changer sa vie. L'œuvre s'enrichit alors de la triste expérience : sa poétique se renouvelle, son inspiration s'élargit, son mysticisme de néophyte lui inspire de véritables élans de psalmiste. Il publie les Romances sans paroles (1874) et entreprend la composition de Sagesse (1881). Parallèlement, préférant le son au sens, il redécouvre la toute-puissance musicale du vers.

1.3. Le « Pauvre Lélian »

À sa sortie de prison, Verlaine rejoint Rimbaud, alors précepteur à Stuttgart, avec l'intention, semble-t-il, de lui faire partager sa foi ; les retrouvailles tournent court. Mathilde ayant obtenu le divorce, il reprend ses errances. En 1875-1877, il enseigne le français et le dessin en Angleterre (Stickney, Boston, Bournemouth) ; en 1877-1878, à Rethel dans les Ardennes, il donne des cours de français, d'anglais et d'histoire. Après être retourné professer en Angleterre (Lymington, 1879), accompagné de Lucien Létinois (1860-1883), un ancien élève pour lequel il s'est pris d'une amitié passionnée, il se fixe finalement en France (1880).

En 1884, alors qu'il sombre de nouveau dans l'alcool, Verlaine publie Jadis et Naguère, qui compte quelques chefs-d'œuvre, dont son « Art poétique ». La même année, il fait paraître les Poètes maudits, étude consacrée notamment à Tristan Corbière, à Rimbaud, à Mallarmé et à lui-même – sous l'anagramme du « Pauvre Lélian » –, ce qui lui vaudra d'être promu, malgré lui, initiateur du symbolisme.

Guetté par une solitude croissante, il erre ensuite de garnis en hôpitaux tout en publiant des recueils religieux (Amour, 1888 ; Bonheur, 1891 ; Liturgies intimes, 1892), érotiques (Parallèlement, 1889 ; Chansons pour elle, 1891 ; Odes en son honneur, 1893) ou de circonstance (Épigrammes, 1894 ; Invectives, 1896). En août 1894, il est élu par ses pairs « prince des poètes ». Partageant depuis plusieurs années déjà sa vie entre les amours homosexuelles d'occasion et des liaisons plus durables avec des prostituées, il s'éteint à Paris, le 8 janvier 1896, des suites d'une congestion pulmonaire.

2. L'œuvre de Verlaine

Paul Verlaine porte un visage nouveau dans l’histoire littéraire : il est cet homme inquiet puis déchu, écrivain rejeté à la marge de la société, qu’il a lui-même caractérisé dans les Poètes maudits (1884-1888).

Son œuvre laisse une empreinte forte, à la transition du mouvement parnassien et du symbolisme. En livrant à ses contemporains un Art poétique (publié dans Jadis et naguère, 1884), Verlaine affirme une esthétique. « De la musique avant toute chose », décrète-t-il, ouvrant la voie à une génération de disciples, hommes de lettres comme lui mais aussi compositeurs – à l’instar de Claude Debussy ou de Gabriel Fauré, qui appliquent des mélodies à ses textes.

Cependant la poésie de Verlaine n’est pas dans la révolte. Elle ne se résume pas non plus à un idéal formel. Au long de plus de vingt recueils, Verlaine déploie une sensibilité singulière, candide et tendre, souvent mélancolique. La liberté de la langue et du vers, garante de la Musique, y trouve sa justification : le poète se propose de dépasser l’analyse de ses impressions, de façon à pleinement les traduire et les exprimer.

2.1. La musique de l’intime

Le vers impair

Verlaine l’a lui-même signalé, une clef de son art se trouve dans l’emploi privilégié du vers impair (« Art poétique »). Impair, c’est-à-dire composé d’un nombre impair de syllabes, à la différence du vers français classique comme l’octosyllabe ou comme le décasyllabe (huit et dix syllabes), et surtout à la différence de l’alexandrin (douze syllabes).

« Dans le brouillard rose et jaune et sale des Soho » (« Sonnet boiteux », Jadis et naguère, 1884) ; « La tristesse, la langueur du corps humain » (Sagesse, 1881) : avec de tels vers de treize syllabes et de onze syllabes, en subtil décalage avec la mesure ordinaire, Verlaine sollicite l’attention de son lecteur. L’équilibre et le balancement traditionnel du vers, fondé sur la division de celui-ci en deux parties d’égale longueur, laisse place à une cadence inconnue.

Rimes, rythmes et sons

De la même manière que le vers impair brise la routine du discours, l’atténuation de la rime soustrait la poésie aux repères sonores habituels. « Ô qui dira les torts de la Rime », lance Verlaine, « ce bijou d’un sou / Qui sonne creux et faux sous la lime » (« Art poétique ») ! Cinglant, le poète pourtant ne franchit jamais la limite du vers libre (vers non rimé).

De fait, il s’agit avant tout pour Verlaine de se démarquer de la convention qui consiste à coupler les vers deux par deux, à travers la répétition du dernier pied. Verlaine multiplie les « enjambements », qui soumettent le rythme poétique au sens des phrases et non à la régularité des vers :
« Le Printemps avait bien un peu /
Contribué, si ma mémoire /
Est bonne, à brouiller notre jeu »
(« En patinant », Fêtes galantes, 1869).

Mais il ne renonce pas à des effets harmoniques fondés sur la répétition de syllabes ou de sons (allitérations) à l’intérieur et tout au long des vers : « L'or, sur les humbles abîmes / Tout doucement s'ensanglante » (« Bruxelles. Simples fresques », Romances sans paroles, 1874).

Il en résulte un climat indécis ou improvisé, comme si Verlaine adoptait une dominante sonore, sans toutefois parvenir à bien articuler et caler ses phrases : selon la formule de Paul Valéry, « on croirait qu’il tâtonne » (Paul Valéry, « Villon et Verlaine », Conferencia, 15 avril 1937).

Refus de la déclamation

La poésie de Verlaine n’est sans doute pas faite pour être dite, mais murmurée ou chantée (« Prends l’éloquence et tords-lui son cou ! » [« Art poétique »]). Car cette poésie exalte une voix, la voix modulée et sinueuse de l’homme blessé. Le retour sur soi et la nostalgie (Fêtes galantes ; Jadis et naguère) suscitent un univers tout en demi-teintes, délicates et obstinées : « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant / D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime » (« Mon rêve familier », Poèmes saturniens, 1866). Et c’est dans ce ton nouveau que résident la véritable originalité et l’apport de Verlaine.

2.2. Une poésie de l’évocation

Naïf, décadent ou primitif ?

L’hypothèse d’un poète gauche ou « naïf » (Paul Valéry, « Villon et Verlaine »), permet de replacer Verlaine et sa musicalité particulière dans une dynamique historique. « Naïf », ou peut-être « décadent », comme l’écrit encore Valéry, qui voit sous l’apparente maladresse de Verlaine une réaction contre une forme dont « les perfections lui sont devenues fastidieuses ». Cette maladresse de Verlaine, en effet, contraste avec la pureté cristalline de Théophile Gautier, de Théodore de Banville ou de Leconte de Lisle, les maîtres qu’à ses débuts il côtoie au Parnasse contemporain.

Mais au-delà du décadent, il y a aussi un « primitif » (P. Valéry). Le refus d’une poésie froide et impersonnelle, soumise à un culte de la forme fixe, reflète le souci qu’a Verlaine d’accorder la première place à ses émotions. Des émotions qui ne sont guère analysées et rattachées à des causes, mais plutôt traduites en un flux continu. Lorsque paraissent ses Poèmes saturniens (1866), Verlaine revendique « un effort vers l'Expression, vers la Sensation rendue » (ainsi qu'il l'écrit dans une lettre à Stéphane Mallarmé, le 22 novembre 1866).

Symbolisme

C’est dans une région de lui-même difficile d’accès, là où l’inquiétude résiste à l’analyse, que Verlaine puise la substance de son art. Le poète mobilise moins l’intelligence que l’intuition, car son but n’est pas de comprendre ou d’expliquer, mais de suggérer.

Dès lors le sentiment devient un véritable saisissement. La richesse de la langue poétique se mesure à l’ampleur des correspondances qu’elle appelle, à la profondeur des impressions qu’elle provoque. Et cette langue toute de nuances – car « la nuance seule fiance / Le rêve au rêve » (« Art poétique ») – abonde d’images aux résonnances décalées : les symboles.

Lyrisme et mystique

Couronné « Prince des Poètes » par ses pairs (1894), Verlaine fait figure avec Stéphane Mallarmé de principal précurseur du symbolisme. Son engagement cependant n’est pas celui d’un chef d’école, et la subjectivité qu’il affiche est ambiguë.

Nombre de poèmes composant le recueil Sagesse montrent que la subtilité impressionniste se complique chez lui d’une aspiration religieuse, échappant aux catégories ordinaires. Si bien que la dimension lyrique et autobiographique apparaît finalement comme l’une des plus caractéristiques de son œuvre, entre regret de l’enfance perdue et fascination de l’amour (Romances sans paroles).

Morceaux choisis

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone.

« Chanson d'automne », (Poèmes saturniens) [Ces vers furent repris par Radio Londres pour prévenir les résistants de l'imminence du débarquement en Normandie, en 1944.]

Écoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire,
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d'eau sur de la mousse !

(Sagesse)

De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

« Art poétique », (Jadis et Naguère).

Antoine Watteau, la Gamme d'amour
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Cazals, Paul Verlaine à l'hôpital
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Cazals, Paul Verlaine entrant au Procope
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Cazals, Paul Verlaine et Jean Moréas au « Salon des Cent »
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Henri Fantin-Latour, Un coin de table
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Paul Verlaine
Paul Verlaine
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Paul Verlaine
Paul Verlaine enfant
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Paul Verlaine, les Poètes maudits
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Paul Verlaine, les Voyages forment la jeunesse
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Paul Verlaine, Poèmes saturniens
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Verlaine et Rimbaud marchant dans Londres
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  • 1869 Fêtes galantes, recueil poétique de P. Verlaine.